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Par JM Greffion — Dernière modification 16/02/2024 15:14

Le cycle océanique du carbone dans la colonne d'eau

   1. Le cycle dans l'océan superficiel


La partie superficielle de l'océan se caractérise par l'existence d'une activité photosynthétique sur une profondeur variable (fonction de la charge particulaire de la colonne d'eau, environ 100m en océan ouvert) appelée couche euphotique, activité rendue possible par des apports nutritifs liés à la dynamique de l'océan et par la pénétration de lumière. Cette synthèse de carbone organique se fait à partir du carbone inorganique présent dans le milieu.

- Les différentes formes de carbone inorganique

     

     Dans l'océan, le carbone se présente sous trois formes minérales dissoutes : du dioxyde de carbone CO2, du bicarbonate HCO3- , du carbonate CO32- .
Ces trois espèces sont en équilibre chimique selon les réactions :

CO2 + H2O <==>( H2CO3* ) <==> HCO3- + H+ (1) HCO3- + H2O <==> H+ + CO32- (2)

(* la présence réelle d'acide carbonique H2CO3 dans les océans reste à démontrer)
Ce qui peut se réduire à la réaction d'équilibre suivante :

 CO2 + CO32- + H2O <==> 2 HCO3- (3)

    Contrairement aux vitesses d'échange gaz-liquide qui sont à l'échelle de quelques jours, les cinétiques des réactions  entre les espèces dissoutes sont à l'échelle du centième de seconde. Toute modification de la concentration d'une de ces espèces chimiques déplace les équilibres et modifie l'abondance des autres formes. Par exemple si la quantité de CO2 dissous augmente, l'abondance de bicarbonate HCO3- augmente en même temps, tandis que celle du carbonate CO32- diminue (déplacement de l'équilibre vers la droite dans l'équation 3).

La variation de concentration des ions carbonates est d'ailleurs la principale cause de variation du pH de l'eau de mer

         Influence de quelques facteurs sur la répartition des espèces chimiques de carbone inorganique Effet du pH


La répartition de ces espèces chimiques est régie par la loi d'action de masse : - pour l'équilibre (1) : [HCO3-][H+] / [CO2] = K1 (la concentration de l'eau étant constante, elle ne figure pas dans l'équation)
- pour l'équilibre (2) : [CO32-] [H+] / [HCO3-] = K2
K1 et K2 sont les constantes de dissociation qui dépendent de la température et à un moindre degré de la salinité ( la pression influe également mais son effet est très mal connu).
Et si l'on pose CT = [CO32-] + [HCO3-] + [CO2], CT représentant le carbone inorganique total , on peut alors dégager à partir des équations précédentes 3 relations utiles :

 

equa1.jpg

 

 

Les rapports [CO2] / CT, [HCO3-] / CT, [CO32-] / CT ne dépendent que du pH
 

Si ces expressions sont reportées dans un diagramme en fonction du pH, trois zones de dominance se distinguent (cf. ci contre). A bas pH, l'excès de protons déplace les équilibres (1) et (2) vers la gauche et favorise CO2, à fort pH leur déficit favorise CO32-. L'eau de mer avec un pH  de 7,6 à 8 est fortement dominée par les ions HCO3-. Avec une teneur voisine de 2 mol.m-3 (125 fois plus que dans l'atmosphère), le carbone minéral de l'océan se répartit ainsi : 90% de HCO3- , 5 à 10% de CO32- , 1% de CO2 dissous. 

icone_carbo_pH.gif

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    On comprend pourquoi l'équilibre air-océan est si long à s'établir : il se fait par l'intermédiaire d'une espèce qui ne représente que 1 % du stock de carbone inorganique total.

 Effet de la température

Les variations de température se traduisent aussi par des modifications des constantes K1et K2, et donc des déplacements  des équilibres chimiques. La solubilité Ko du dioxyde de carbone  augmente également quand la température diminue. Même à concentration constante de CO2 dissous, la pression partielle de gaz dissous  PCO2 diminue proportionnellement à Ko (PCO2 = [CO2]/ Ko) . Ceci se traduira par un flux de CO2de l'atmosphère vers l'océan.

 

 Effet de la photosynthèse

 

Le phytoplancton de l'océan superficiel extrait du carbone inorganique du milieu marin pour synthétiser sa matière organique. Quelle que soit la forme sous laquelle ce carbone est prélevé ( CO2, HCO3- ou CO32-) les réactions chimiques entre ces trois formes sont si rapides que les équilibres sont quasi instantanément restaurés. La photosynthèse provoque donc une diminution sensible du carbone inorganique total. Cela a pour effets de diminuer l'abondance des ions bicarbonates, d'augmenter l'abondance des ions carbonates et s'accompagne d'une diminution de la pression partielle de gaz dissous (les eaux de surface auront donc tendance à absorber du CO2).

 

carbo_T.gif
(d'après Gérard Copin-Montégut)

 

Effet de la calcification

De nombreux organismes marins (coccolithophoridés, coraux ...) extraient du carbonate de calcium CaCO3 du milieu marin pour édifier leur squelette ou leur coquille. Cette précipitation de CaCO3 se traduit par une diminution des carbonates et une augmentation de la PCO2 des eaux qui deviennent une source de CO2 pour l'atmosphère (cf tableau ci-dessus et équilibre (3)). Elle est favorisée par une température élevée, une salinité et un pH forts, conditions réalisées dans l'océan aux faibles et moyennes latitudes. 

La possibilité d'une précipitation directe de Ca CO3 en quantité importante à partir de l'eau de mer est encore très controversée notamment à propos des phénomènes de blanchiment des eaux de surface.
 
Les effets sur PCO2 de la photosynthèse et de la calcification sont donc antagonistes. L'effet net dépend de l'importance relative des deux processus. Deux modèles (CORAX et GEOTOP) ont été utilisés pour quantifier l'influence des organismes marins calcifiant et non calcifiant sur PCO2 . Le rôle des organismes dépend de leur rapport g (biomasse inorganique /biomasse totale) mais également des paramètres qui contrôlent ce facteur, comme la PCO2 atmosphérique et n'est donc pas constant en fonction des conditions climatiques. Alors que les diatomées (principaux producteurs primaires, phytoplancton à squelette siliceux) sont toujours des puits de CO2 et les coraux des sources  dans la majorité des cas, les coccolithophoridés pourraient devenir des sources à partir d'un rapport g de 0,6. Il est donc nécessaire de quantifier la distribution de la biomasse des organismes marins pour évaluer leur impact global sur la PCO2 et donc leur impact sur le CO2 atmosphérique.

A l'échelle de tout l'océan, le plancton semble utiliser quatre fois plus de carbone pour fabriquer de la matière organique que pour ses squelettes, si bien que le résultat net de son activité est de diminuer la PCO2. Cependant, il arrive localement que cet effet soit beaucoup plus faible, voire inversé. 

 

 Effet de la salinité

La solubilité du CO2 diminue quand la salinité augmente. En effet les gaz sont des molécules neutres dont l'insertion est rendue plus difficile par la présence des charges électriques portées par les ions présents dans l'eau de mer. 

 

- La production de carbone organique

     

La formation de matière organique dans l'océan commence par la photosynthèse. Cette production de matière organique, appelée production primaire, utilise l'énergie lumineuse pour réduire différents composés inorganiques dissous, tels que le carbone sous forme de CO2 dissous, l'azote sous forme de nitrate NO3-, ou le phosphore sous forme de phosphate PO43-. Des mesures systématiques dans l'océan ont montré que l'activité biologique modifiait la teneur en oxygène, en carbone inorganique, en azote, et en phosphore des eaux de mer  dans un rapport stoechiométrique constant, appelé rapport de Redfield. Les valeurs actuellement admises de ce rapport sont : 

DO/DC/DN/DP = -172/105/16/1

ce qui signifie que pour un atome de P utilisé lors de la photosynthèse (ou oxydé par l'activité bactérienne), 16 atomes de N et 105 atomes de C sont consommés (oxydés et dissous) et que 172 atomes d'oxygène sont produits (utilisés). La mesure des variations dues à l' activité biologique d'un de ces éléments permet donc d'évaluer les variations des trois autres.
A côté de la température, qui module toute activité métabolique, les régulateurs de la production primaire marine diffèrent notablement de ceux qui influencent les végétaux terrestres ; en mer, ni la teneur en CO2 ni le manque d'eau n'interviennent .
 
 
Le contrôle de la production primaire


La production autotrophe dépend donc de :
 - l'énergie lumineuse disponible. La lumière pénètre sous la surface de la mer et y est diffusée et absorbée par l'eau et les pigments du phytoplancton, principalement de la chlorophylle et des carotènes. Les bandes spectrales rouges étant absorbées par les pigments, la répartition spectrale de la lumière varie aussi selon la profondeur. On définit arbitrairement la profondeur de la couche euphotique comme étant la profondeur où la lumière n'a plus que 1% de l'intensité qu'elle a sous la surface de l'eau. Alors que dans l'eau pure, la couche euphotique peut avoir plus de 100m de profondeur, elle n'a souvent que 50m d'épaisseur quand il y a du plancton. Il existe une intensité optimale d'éclairement au-delà de laquelle la production primaire est moins efficace. Par ailleurs la production primaire est possible dans un couche dont l'épaisseur est environ une fois et demi celle de la couche euphotique.
Le comportement du  phytoplancton vis à vis de la lumière varie selon les espèces. Certaines espèces disposent de cellules les protégeant de l'excès de lumière et peuvent donc vivre à proximité de la surface dans des couches qui sont parfois très pauvres en nitrates. D'autres disposent d'un rapport chlorophylle/carbone très élevé et sont donc très sensibles à la lumière. Elles vivent à plus de 100m de profondeur, là où la présence de nitrates est élevée.
 
- la quantité d'ions minéraux ou nutriments. Dans la majeure partie de l'océan, la croissance du plancton consomme les nitrates jusqu'à leur épuisement ; on parle de zone oligotrophe. En fait cette consommation est approximativement proportionnelle à son abondance jusqu'à un seuil de saturation. Au delà de ce seuil, la consommation ne change plus, les nitrates apportés en surplus par les courants ne sont pas utilisés et peuvent être exportés par ces mêmes courants ; on parle de zone eutrophe. Le niveau de saturation est variable car le système trophique n'est pas le même selon les régions de l'océan : il peut être inférieur à 0,2 µmol. kg-1 en zone oligotrophe et dépasser 10 µmol. kg-1en zone eutrophe.

La production primaire peut être limitée par d'autres effets que l'abondance des nitrates, comme l'abondance des phosphates et du fer dissous.

Certaines espèces de phytoplancton peuvent assimiler directement l'azote gazeux dissous et ne subissent donc pas une limitation forte par manque de sels nutritifs azotés dans l'océan, la quantité d'azote gazeux dissous étant largement en excès dans l'océan. L'existence de ces cyanobactéries (Trichodesmium) conforterait l'hypothèse de base admise par de nombreux géochimistes, à savoir que sur les longues échelles de temps, l'élément limitant essentiel de la production primaire est le phosphore et non l'azote. Cependant d'autre processus, tels que la dénitrification (en milieu appauvri en O2, des bactéries utilisent  NO3- à la place de l'O2 comme oxydant vis à vis des matières organiques, aboutissant à la formation de NO2- puis de N2) interviennent dans le découplage des cycles de l'azote et du phosphore, et de nombreux scientifiques pensent que c'est en fait l'azote qui est l'élément limitant majeur de la production primaire. Le débat n'est pas clos et la réponse peut dépendre de l'échelle de temps considérée. 
 On a découvert récemment le rôle primordial du fer dans l'activité du phytoplancton. Jusque vers 1990, on croyait que la photosynthèse marine s'effectuait de façon optimale dans les zones où nitrates et phosphates étaient présents, jusqu'à épuisement de ces sels. Pourtant dans de vastes régions (l'océan Pacifique équatorial et l'océan Antarctique), les nitrates sont abondants en surface mais l'activité biologique y est anormalement faible. L'hypothèse d'une limitation de la photosynthèse par le fer a été éprouvée en ensemençant une surface de l'océan de quelques dizaines de kilomètres de côté. La zone enrichie en fer a connu alors une intense floraison. Depuis, il est admis que le fer pouvait dans certaines régions éloignées des continents (et donc d'apports éoliens riches en fer), limiter l'intensité de la production primaire. 
nitrchlo.gif (d'après Gérard Copin-Montégut)
La répartition verticale des deux facteurs ci-dessus permet d'expliquer l'abondance maximale de la chlorophylle à un niveau intermédiaire. En effet, la quantité de lumière disponible décroît de la surface vers le fond, alors que la quantité de nutriments décroît du fond vers la surface. Il peut donc exister un niveau de profondeur optimum, où la production de phytoplancton dispose à la fois de suffisamment de lumière et de nutriments. 
l'abondance du zooplancton. Le "broutage" par le zooplancton est le troisième facteur limitant la production primaire. Il existe, un grand nombre d'espèces de zooplancton, mais on retrouve les mêmes partout dans l'océan. 
 
 

-Transferts et recyclage de la matière organique

 
La matière organique produite par photosynthèse finit toujours par être oxydée et être transformée en substances minérales dissoutes dans l'océan : seule un très faible proportion de la production primaire moins de 1%) se retrouve dans les sédiments marins. Cette oxydation résulte de l'activité métabolique des organismes vivants et de l'activité bactérienne.

Lors de chaque transfert de la matière organique vers un niveau supérieur de la chaîne alimentaire :
    -  environ 10% de l'énergie est assimilée par le niveau trophique supérieur 
    -  90% de l'énergie est : 1. perdue, directement sous forme dissoute ou sous forme particulaire (pelotes fécales rejetées par le zooplancton, cadavres) 
                                      2. utilisée et oxydée par des processus métaboliques (respiration).

La phase dissoute peut résulter d'une décomposition assez poussée de certaines molécules complexes existant dans les organismes ou de véritables sécrétions de ceux-ci dans le milieu (substances ectocrines). Elle peut également provenir des continents. Le carbone organique dissous (COD)se présente sous deux formes :
 
- une forme "labile" facilement décomposée par l'activité bactérienne (sur des constances de temps de quelques jours)
- une forme "réfractaire" (80% du C organique dissous) difficile à oxyder . Sa durée de vie obtenue par datation au 14C semble être de l'ordre du millier d'années. Ce réservoir joue néanmoins un rôle très limité dans les cycles biogéochimiques car les flux associés sont très faibles.
La forme réfractaire du carbone océanique dissous (COD) peut être exportée vers l'océan profond lors de la convection hivernale. 
La forme réfractaire du carbone océanique dissous (COD) peut être exportée vers l'océan profond lors de la convection hivernale.
 
 Production régénérée, production exportée, production nouvelle
 La matière organique minéralisée en surface par l'activité des bactéries et du zooplancton  va alimenter "en circuit fermé" la partie de la production primaire appelée production régénérée. Celle-ci est donc entretenue par des nutriments produits directement dans la couche euphotique. Le carbone transitant par ce circuit est isolé peu de temps de l'atmosphère.
Le carbone organique particulaire (COP, sous forme de pelotes fécales et de cadavres) et le COD quittent l'océan de surface en direction des profondeurs. Ils représentent la production exportée. Mais la quasi totalité de celle-ci est peu à peu réoxydée en sels dissous au cours son transfert.
En régime stationnaire, ce flux vertical descendant est équilibré par un flux vertical ascendant. Les sels dissous formés dans l'océan intermédiaire et profond vont réalimenter l'océan de surface pour fermer le circuit en participant à la production primaire. Cette partie de la production qui résulte de l'apport de nutriments profonds est appelée production nouvelle. 
cyclbiol.gif Schéma d'un modèle biologique océanique du carbone :
(d'après Laurent Mémery) 

COD : Carbone organique dissous
COP : carbone organique particulaire
CID : carbone inorganique dissous

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